Alerte Rouge sur la Santé Mentale des Fondateurs

L’épuisement silencieux des entrepreneurs

Une enquête de février 2025, menée par Sifted auprès de 138 fondateurs de startups, dresse un tableau alarmant de la santé mentale dans l’écosystème entrepreneurial. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de la moitié des fondateurs (54%) déclarent avoir souffert d’un burnout au cours des 12 derniers mois.

Les témoignages recueillis révèlent un épuisement profond. Les fondateurs se disent « épuisés », abattus et manquant d’espoir. Dans un contexte économique qui reste difficile, où les levées de fonds sont toujours complexes et où la course à la rentabilité s’intensifie, beaucoup se sentent « en situation de stress permanent », comme l’exprime l’un des répondants.

Des statistiques inquiétantes

L’étude, qui a interrogé une population composée aux deux tiers d’hommes, d’un tiers de femmes et d’une minorité de personnes non-binaires ou préférant ne pas préciser, révèle des données préoccupantes :

  • 46% des fondateurs qualifient leur santé mentale de « mauvaise » ou « très mauvaise »

  • 75% ont déclaré avoir souffert d’anxiété durant l’année écoulée

  • Deux tiers ont envisagé de quitter leur startup

  • 39% considèrent cette possibilité pour l’année à venir

Le désespoir transparaît dans certains témoignages, comme celui de ce fondateur qui confie : « Je ne vois pas de solution. Cela demanderait trop d’efforts, notamment pour lever des fonds, alors j’ai déjà décidé de fermer l’entreprise. Je peux déjà sentir ma santé s’améliorer, même si je vais perdre une somme d’argent substantielle.« 

Un équilibre vie professionnelle-vie personnelle rompu

La charge de travail a augmenté pour 49% des répondants au cours de l’année écoulée, avec 67% travaillant plus de 50 heures par semaine. Cette intensification a des répercussions directes sur leur vie personnelle :

  • 72% ont réduit leurs activités sociales

  • 61% ont pris moins de vacances

  • 47% ont diminué leur pratique sportive

  • 36% admettent avoir négligé leur alimentation

Un fondateur témoigne : « Le produit se développe bien, donc il y a plus de travail. La levée de fonds représente un niveau de travail épique. Les choses qui me maintenaient en dessous de la ligne rouge (alimentation, exercice, lecture, etc.) ont été mises de côté et cela commence à s’accumuler. Vous vous réveillez à 4h du matin quand votre rêve se transforme soudainement en préoccupation de financement, votre système nerveux s’emballe et vous ne pouvez plus dormir.« 

Épuisement et troubles du sommeil

L’enquête révèle que 54% des fondateurs ont connu des périodes d’insomnie, tandis que seulement 6% affirment n’avoir rencontré aucun problème de santé mentale au cours des 12 derniers mois. Le stress élevé touche une écrasante majorité (83%) des répondants.

Le syndrome de l’imposteur est également répandu, avec des taux plus élevés chez les femmes (46%) et les personnes non-binaires (100%), comparativement aux hommes (43%).

La levée de fonds : le défi numéro un

Comme dans l’enquête de l’année précédente, la recherche de financements reste le défi le plus fréquemment cité par les fondateurs, suivi par l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle. La fidélisation des clients complète le podium des principaux défis.

« La levée de fonds est devenue significativement plus difficile, ce qui nous oblige à y consacrer beaucoup plus de temps qu’auparavant » confie un fondateur.

La majorité des répondants dirige des entreprises en phase de démarrage : 35% sont au stade d’amorçage (seed), 28% sont autofinancés (bootstrapped), 25% sont en pré-amorçage et 7% ont atteint la série A. Une majorité relative (39%) a réalisé une levée de fonds au cours des six derniers mois.

Les licenciements, le recrutement et l’évolution du paysage politique sont considérés comme les aspects les moins problématiques de la vie entrepreneuriale actuellement.

Les fondateurs de la cleantech particulièrement touchés

L’étude met en lumière une situation particulièrement critique pour les entrepreneurs du secteur des cleantech. Parmi eux, 63% décrivent leur santé mentale comme « mauvaise » ou « très mauvaise », contre 43% des autres répondants.

Beaucoup citent un environnement économique difficile comme raison de leurs difficultés : « Les investissements ont souffert depuis le pic de 2021/2022. Les entreprises privées peinent à prioriser les investissements climatiques, en raison notamment de l’inflation croissante, de la guerre en Ukraine, des coûts énergétiques, etc.« 

Un autre témoigne : « Nous travaillons dans l’ESG. La victoire de Donald Trump a affecté l’agenda vert européen, et d’importants groupes de pression en France et en Allemagne ont commencé à tenter de supprimer les exigences et législations ESG des entreprises européennes. Cela signifie que notre marché est incertain et menacé d’effondrement.« 

En outre, 46% des fondateurs cleantech envisagent de quitter leur startup dans les 12 prochains mois, contre 39% des autres fondateurs.

Un soutien insuffisant des investisseurs

Malgré ces difficultés, la majorité des répondants (56%) rapporte ne recevoir absolument aucune aide de leurs investisseurs concernant leur santé mentale, tandis que seulement 3,6% déclarent recevoir un soutien important. Lorsqu’on leur demande vers qui ils se tournent en cas de besoin de soutien, seuls 12% mentionnent leurs investisseurs.

« J’ai perdu ma confiance dans les discours des investisseurs concernant le soutien aux fondateurs et j’ai réalisé qu’ils feront ce qu’il faut pour gagner de l’argent […] Cela m’use » confie un répondant.

Face à cette crise silencieuse, des initiatives voient le jour :

Partir ou persévérer ?

La majorité des fondateurs (61%) ne considère pas quitter leur startup cette année. Ceux qui l’envisagent font état de niveaux élevés de stress, de solitude et d’un sentiment que l’investissement personnel consenti est disproportionné par rapport aux résultats obtenus.

« Je pense souvent que je suis simplement sous assistance respiratoire et qu’il y a un coût d’opportunité majeur à ne pas simplement fermer et trouver un emploi, » déclare un fondateur. « Le jeu n’en vaut pas la chandelle.« 

Un autre confie : « J’ai 62 ans et quelque chose doit changer ou cela me tuera.« 

Parmi ceux qui envisagent de quitter leur startup, la majorité (37%) indique qu’ils prendraient une pause. Le deuxième choix le plus populaire serait de trouver une autre entreprise où travailler, tandis que le troisième serait de créer une nouvelle entreprise.

Vers un Leadership Plus Sain

Cette enquête de Sifted met en lumière une réalité souvent occultée derrière les succès médiatisés : l’entrepreneuriat a un coût humain considérable. La prévalence alarmante du burnout, de l’anxiété et de l’insomnie parmi les fondateurs de startups pose la question de la durabilité de l’écosystème entrepreneurial actuel.

Face à ces défis, il devient urgent de repenser les structures de soutien pour les entrepreneurs, notamment en ce qui concerne la santé mentale. Le fait que plus de la moitié des fondateurs ne reçoivent aucun soutien de leurs investisseurs sur ce plan souligne un décalage significatif entre les discours sur l’accompagnement des entrepreneurs et la réalité vécue par ces derniers.

Les conséquences de cette crise silencieuse pourraient être considérables, non seulement pour les individus concernés, mais aussi pour l’innovation et la création de valeur que ces entrepreneurs sont censés porter.

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